L’Appel des Bois

Difficile pour chaque être humain d’accepter la mort et la solitude passé un certain temps. Je crois bien que nous ne sommes définitivement pas faits pour vivre seul. Bien au contraire, il m’apparaît évident que l’être humain est programmé génétiquement pour vivre accompagné et n’aspirer qu’au bonheur. La quête de toute une vie. J’ai fêté mes 62 ans il y a peu. Fêter est un bien grand mot, en réalité j’ai subi l’ironie de la vie qui s’est bien moqué de moi en programmant le mois de ma naissance deux évènements antithétiques : la célébration de ma venue sur terre et celle du funeste jour où ma vie s’est arrêtée il y a trois ans maintenant. Peu de gens peuvent se vanter d’avoir trouvé leur âme soeur au cours de leur court passage en ce monde. J’ai eu la chance de le trouver à l’aube de mes 20 ans et de n’aimer que lui. Nous avons été heureux, autant que nous puissions l’être malgré les aléas de la vie. 39 ans de bonheur, c’est ce à quoi j’ai eu le droit et je m’estime chanceuse, croyez-moi. Mais tout s’est arrêté du jour au lendemain, sans le moindre avertissement, sans que je puisse m’y préparer et lui dire simplement adieu. Un beau jour arrive où tout votre monde s’écroule, où votre mari en apparente bonne santé est terrassé en une poignée de secondes par une crise cardiaque. Lorsque ce jour arrive, vous mourrez également bien que physiquement votre corps s’accroche encore à des résidus de vie. À l’intérieur de votre corps, tout devient noir, sec, aride et plus rien n’aura alors la moindre saveur, la moindre couleur ni la moindre odeur. Vous devenez un mort-vivant qui attend impatiemment le jour où la Grande Faucheuse viendra vous chercher pour vous délivrer, et vous l’espérez : vous permette de rejoindre votre âme soeur dans un ailleurs indéfinissable et insaisissable.

La vie ne nous a pas épargné malgré cela, Jacques et moi. Jamais nous n’avons eu la chance d’avoir un enfant. La nature est ainsi faite et je ne la blâme pas pour cela. Nous n’étions juste pas prédestinés à donner la vie. Et pourtant, mon coeur est convaincu que tout aurait pu être tellement différent aujourd’hui si nous avions eu l’immense privilège de fonder notre famille.

Les regrets et les actes manqués, voilà tout ce qu’il me reste, tout ce qui me tient compagnie.

Chaque journée me semble interminable, les minutes s’égrainent si lentement. Le supplice ne fait que s’éterniser et ne cesse plus de m’étreindre. Alors pour ne pas devenir folle, mes jours sont rigoureusement organisés, à chaque heure sa tâche monotone et répétitive.

Et là comme tous les mercredi après-midi je me rends au cimetière pour me recueillir sur la tombe de Jacques et l’entretenir. Penser à lui et prendre soin de son ultime demeure terrestre sont tout ce que je peux encore faire pour lui afin de perpétuer et célébrer notre amour éternel. Mais à chaque fois que je quitte le cimetière, c’est comme si je le perdais à nouveau. L’Enfer est sur terre, je n’en doute plus le moins du monde. Nous sommes tous condamnés à revivre nos pires douleurs et très certainement à reproduire nos mêmes erreurs …

Ce jour-là il pleut, comme d’habitude j’ai envie de dire. Il me semble qu’il pleut toujours le mercredi. Est-ce un signe ? Peut-être devrais-je arrêter de venir me torturer ainsi chaque semaine ? Je fais ce que j’ai à faire, renouvelle les fleurs, enlève les feuilles & les fleurs mortes, nettoie ce qui peut l’être afin de rendre cette parcelle paisible et propre, je me recueille encore et toujours. Oh Jacques, la vie est si fade sans toi à mes côtés pour en jouir ! Je ne ressens dans mon coeur aucune joie d’être encore en vie et supplie mon défunt mari d’envoyer quelqu’un me chercher car j’aspire tant à être libérée de cet infâme fardeau que je ne peux plus supporter. Mais rien ne se passe, comme toujours. Je quitte le cimetière. La fin d’une après midi maussade et humide printanière approche et pourtant, subitement, j’ai envie de bousculer mon emploi du temps si rigoureusement organisé. La forêt de Phalempin se trouve non loin du cimetière et je ne sais pourquoi, je ressens la subite envie de m’isoler parmi une forêt de végétaux, loin du regard désabusé du monde et de ceux qui le peuple. Je m’enfonce avec soulagement, à mon grand étonnement, dans l’épais mur vert, m’éloignant à chaque pas du parking qui me raccrochait encore à un semblant de civilisation. À chaque mètre parcouru je pénètre davantage au coeur de la forêt. Le silence devient de plus en plus profond et lourd, presque assourdissant. Seules la musique des oiseaux et les brindilles qui se brisent sous mes pas ponctuent cette musique oppressante mais ô combien merveilleuse pour la paix de mon esprit. Je perds la notion du temps ainsi que mon sens de l’orientation. J’ai l’impression de revenir à mon essence même, de me reconnecter à l’essentiel : notre mère nourricière à tous, la nature. Quand soudain je sens quelque chose braqué en direction de mon dos. Je me retourne et ne vois rien si ce n’est des camaïeux de verts et de marrons à perte de vue tout autour de moi. Je suis seule. En fait non, le peuple des bois m’accompagne mais il reste invisible et je l’en remercie. Je ne souhaite moi-même qu’être invisible et pouvoir communier dans cet endroit si reposant pour ma propre douleur. Si seulement mon coeur pouvait me lâcher ici-même et me terrasser comme ce fut le cas pour Jacques ! Ma mort serait mon ultime offrande à Mère Nature, je pourrais redevenir poussière et mon esprit rejoindre l’élu de mon coeur dans un autre ailleurs ! A peine ai-je pensé à cette envie irrépressible qui se répand dans mon coeur qu’un craquement derrière moi résonne. Je me retourne, persuadée d’être suivi par un lapin ou un gros rongeur et me retrouve face à la plus improbable et extraordinaire des créatures ! Durant une fraction de seconde je me demande si elle n’est pas directement sortie de mon imagination ! Une sorte de faune me jauge. Grand, bien bâti, son torse velu est celui d’un homme mais à partir de la taille il a le corps d’un bouc juché sur deux pattes au bout desquelles se trouvent des sabots impressionnants. La partie inférieure de son corps est recouverte d’un manteau de fourrure noire qui semble soyeuse. Son visage humain irradie d’une beauté divine : des traits fins et harmonieux, des yeux teintés de vert et de chlorophylle, des pommettes saillantes, une bouche pulpeuse et voluptueuse, il porte une longue barbe noire ondulée qui descend en pointe jusqu’à son sternum. Ses cheveux cascadent en boucles noires de chaque côté de son visage et viennent chatouiller ses tétons et ses pectoraux bien visibles. Deux immenses cornes courbées lui ceignent le haut du front avec grâce et férocité. Son regard est doux, presque enjôleur. Ses prunelles me sourient.

 Bienvenu, Ma Dame …

Je suis interloquée. Je dois être folle, en pleine hallucination. Peut-être le symptôme de ma proche fin : une tumeur au cerveau, une maladie mentale … Mais je sens la chair de poule électrifier les poils de ma peau. Mes entrailles se contractent face à cette apparition néanmoins terrifiante et peu conventionnelle dans un bois du Nord de la France.

 N’aie pas peur. Tu n’es pas folle. Je ne te veux aucun mal ma douce …

Il continue de me sourire avec une sorte de bienveillance féline. Je plonge mon regard dans le sien et me sens soudainement attirée, apaisée, en confiance. Mon cerveau, mes réflexes et mes pensées sont complètement hypnotisés par cette créature venue tout droit d’une autre dimension. D’étranges forces sont à l’oeuvre, je peux le sentir, tout autour de moi. Le visage de la forêt paraît s’altérer, la couleur des feuillages devient plus lumineuse, le parfum de la flore plus prononcé, le silence emplit mes tympans d’un vacarme étourdissant. Il s’approche de moi. A chacun de ses pas vers moi je peux ressentir les vibrations dans mon propre corps. Je n’ai plus le moindre contrôle. Si la Mort a vraiment le visage de cette irrésistible créature, je veux bien qu’elle m’emporte sur le champ. Il ne se trouve plus qu’à quelques centimètres de moi désormais. Les battements de mon coeur s’accélèrent, comme si j’avais retrouvé le coeur d’une midinette en proie à l’effervescence de ses hormones pour la première fois de sa vie. Son odeur me parle, m’imprègne et je suis prête à m’abandonner à l’étreinte de cet étrange messager.

 J’ai ressenti ta souffrance, Solange.

 Vous … connaissez mon nom ? parviens-je à articuler, le souffle coupé.

 Bien sûr, répond-il en ricanant avec délice. Je fais partie de l’esprit de ces bois. Mon regard s’étend au-delà de mon sanctuaire. Cela fait des mois que je t’observe et que je lis en toi. J’aurais dû me révéler à toi plus tôt mais tu gardais closes les portes qui mènent à toi. Lorsque tu as franchi la frontière de ma demeure, j’ai su que je pourrais enfin faire quelque chose pour toi. Pour soulager ton fardeau bien trop lourd à porter.

Tout commence à tanguer dangereusement dans mon esprit. Je n’ai pas le temps de digérer sa diatribe qu’il m’enlace de ses bras vigoureux et protecteurs. Je ne peux lutter. Je suis toute à lui.

 Si je te disais, ma douce Solange, que j’ai le pouvoir de changer les choses ! Tu n’as qu’à choisir une date et je t’y renverrai afin que tu puisses changer ce que tu veux, que tu obtiennes ta fin heureuse ! Tu pourras modifier ce que bon te semble et vivre la vie que tu aurais souhaité vivre !

 Non … tout ça n’est pas réel … ça ne se peut …

Je suis ébranlée. La folie m’a gagné. La fin est donc proche ! On n’est jamais suffisamment préparé à partir, mais quand l’heure arrive il ne faut plus hésiter et faire le grand saut.

 C’est on ne peut plus réel ma chère Solange.

Il s’écarte de moi et tend une main dans ma direction. Un vieux parchemin usé se matérialise dans sa paume.

 Rien de plus simple. J’ai juste besoin d’une date et tes souhaits deviendront réalité. Tu pourras alors revivre une nouvelle vie aux côtés de Jacques.

Jacques. Le prénom de mon défunt mari résonne dans mon coeur, dans mon esprit. Il me manque tellement. La promesse d’une nouvelle vie à ses côtés est juste … incroyablement tentante. J’ai tellement envie d’y croire. Je dois être complètement folle de vouloir y croire mais bon … qu’ai-je à perdre ! Après tout je ne suis plus qu’une morte en sursis. Sans réfléchir, les mots sortent tout seul de ma bouche.

 D’accord. J’accepte.

Le faune sourit chaleureusement.

 Tu m’en vois ravi Solange. Tu ne vas pas le regretter, je peux te l’assurer. Tout ce que tu as à faire c’est apposer sur ce parchemin la date que tu as choisi et je t’y renverrai.

La proposition est limpide comme de l’eau de roche. Il y a une chose que j’ai toujours regretté de ne pas avoir fait : écouter ma petite voix intérieure. Lorsque j’avais rencontré Jacques je n’étais bien évidemment pas la même que celle que je suis aujourd’hui. J’avais des rêves qui me paraissaient si inaccessibles qu’en chemin je m’en suis éloignée et j’ai fini par les oublier, et par les perdre. L’un d’eux était d’envoyer le manuscrit de ce livre que j’avais écrit à l’aube de mes 20 ans et que je n’avais jamais réussi à envoyer à des éditeurs par peur d’être déçue, je n’avais pas une très grande confiance en moi à l’époque. Les aléas de la vie ont fait que jamais je n’ai fait le grand saut et cela a toujours été un énorme regret pour moi, d’autant plus que j’ai depuis perdu la trace de ce livre que j’avais rédigé avec tant de passion. Le choix est donc fait : ce sera le 17 Juin 1973 ! Je m’apprête à ouvrir la bouche pour lui faire part de mon choix quand je réalise que je n’ai pas de crayon à portée de main. C’est comme s’il lisait dans mon esprit.

 Oui … pas de crayon. Mais il y a un moyen bien plus efficace d’exaucer un souhait : ton sang est l’encre idéale pour rendre tout cela possible.

 Mon sang ?

Sans que je puisse commencer à m’inquiéter, il me présente son index au bout duquel trône une griffe acérée que je n’avais pas encore remarqué.

 Puis-je ? me demande-t-il d’une voix charmeuse.

Je le laisse faire, incapable d’opposer la moindre résistance car au fond de moi, je n’en ai pas envie.

Je lui tends ma main, paume vers le haut. Il se saisit de mon poignet et pique doucement l’extrémité de mon index. Une grosse goutte de sang commence à perler. Je n’ai rien senti. Son regard continue de m’hypnotiser et cela me semble durer une éternité. Puis il me libère et se met à griffonner sur son parchemin avec l’aide de sa griffe. L’encre sanguine en sort, le plus naturellement du monde. Puis il me montre le morceau de papier sur lequel est simplement écrit :

17 Juin 1973

Moi, Solange Robillard, accepte les termes du présent contrat le 25 Mars 2015

Je n’ai pas le temps de balbutier la moindre question qu’il m’annonce d’une voix plus froide :

 Bon voyage Madame Robillard !

Un horrible craquement explose et c’est comme si la terre se mettait à trembler avec une violence inouïe. Le sol se dérobe sous mes pieds et je suis entraînée, aspirée dans ses profondeurs. J’ai à peine le temps de lever la tête. La dernière image que j’emporte avec moi dans ces abysses inconnus est le sourire implacable et féroce du faune léchant avec délectation la griffe avec laquelle il vient tout juste d’écrire sur ce fichu morceau de parchemin …

*

Je rouvre les yeux avec une migraine bien carabinée. Un épais brouillard m’entoure et j’ai le plus grand mal à me repérer. Néanmoins je reconnais cette chambre, ou plutôt le premier studio dans lequel je vivais alors que je n’étais encore qu’une simple étudiante. Je m’extrais de mon lit avec une certaine aisance, ce qui est plutôt inhabituel compte tenu des rhumatismes qui sont mon lot quotidien depuis maintenant quelques années. Je n’ai qu’à faire quelques pas pour ouvrir la porte qui mène à la salle de bain lilliputienne. La confrontation avec le miroir est brutale : ce n’est pas une vieille femme aux courts cheveux blancs qui me fait face mais une jeune fille aux magnifiques cheveux roux attachés en une queue haute. Mes traits sont ceux d’une belle jeune fille épanouie, dans la fleur de l’âge et de l’innocence. Une vague nauséeuse me submerge tandis que je revois les yeux vert chlorophylle du faune … ai-je rêvé ? Je me précipite dans l’autre pièce et parcours avec panique mon bureau en désordre. Sous une pile de livres et de cahiers je le trouve, ce fichu calendrier. Ce qu’il me révèle ne laisse place à aucun doute : nous sommes bien en 1973. J’ai fais un bond dans le passé. J’ai bel et bien signé pour une nouvelle vie. Une renaissance. Mon regard se pose sur le bureau encombré et je le reconnais immédiatement : mon premier manuscrit à peine fini d’être rédigé.

* *

Qui aurait pu penser que la vie pouvait réserver ce type de surprise ? Exaucer le voeu le plus incongru, le plus surréaliste ! Avoir une seconde chance et tout recommencer à zéro ! Personne, à moins d’écrire un livre fantastique. C’est donc ce que je me suis employée à faire : aller au bout de mon rêve. Porter ce premier livre, ainsi que les nombreux autres qui suivirent. Le faune ne s’y était pas trompé. Lors de ma première vie, j’étais passée à côté d’elle, sans réaliser mon désir le plus inavouable : devenir un écrivain renommé et reconnu. Je pensais que cela seul avait manqué à mon bonheur. Je pensais, naïvement, que de corriger cet infime détail me comblerait de joie.

Hélas, le propre de l’Homme est sans conteste de ne jamais parvenir à apprendre de ses erreurs et de les réitérer inlassablement. Mon premier livre,  » L’Appel des Bois  » a été un carton, que dis-je un best-seller mondialement salué par la critique et le public. Ma carrière a tout de suite décollé. J’ai eu une chance incongrue. Jacques était bien évidemment de la partie mais au fil des années j’ai été de moins en moins présente pour lui. Nous n’avons pas été en mesure de procréer dans cette nouvelle vie. Le fossé s’est creusé petit à petit, tandis que ma carrière devenait mon unique obsession, mon unique besoin et mon seul refuge. Jacques s’est éloigné de moi et je l’ai perdu à l’aube de mes 50 ans. Infarctus. Le destin aime à vouloir se répéter. La vie a un sens de l’humour qu’elle seule semble comprendre. J’ai refoulé ma douleur aussi profondément que j’ai pu, continuant à tout déverser dans les pages qui continuaient de s’accumuler. Jusqu’au jour où la goutte d’eau a fait déborder le vase : tout est ressorti avec une telle violence ! L’amer constat d’être une fois de plus passée à côté de ma vie, de mes rêves, du véritable sens que j’aurais dû apporter à tout cela, que j’aurais dû voir et comprendre. Un échec de plus. Être au sommet et pourtant, malgré le confort matériel et les nombreux fans, jamais je ne me suis sentie aussi seule, malheureuse et misérable. Je m’étais interdit de provoquer la venue de la Grande Faucheuse par moi-même mais là je n’y tiens plus, continuer ainsi je ne le peux. J’ai donc pris ma décision, mis mes affaires en ordre. J’ai sauté dans ma confortable berline et j’ai pris la route sans savoir où j’allais réellement. Je savais juste que lorsque j’aurais trouvé mon ultime refuge, je le saurais. Après des heures de conduite, le hasard ou le destin m’ont amené à cette même forêt de Phalempin où tout avait un jour recommencé pour moi. Je pouvais sentir sa présence avant même d’entrer dans son sanctuaire. Je savais qu’il m’attendait, qu’il m’avait toujours attendu depuis ce moment où il m’avait fait signer ce curieux parchemin.

* * *

Après quelques minutes de marche à errer dans les bois, il se matérialisa à nouveau juste en face de moi. Il n’avait pas changé et était fidèle au souvenir que j’avais gardé de lui au plus profond de ma mémoire.

 Bonjour Solange ! Tout va comme tu veux ? me lança-t-il d’un ton narquois.

 Je ne sais pas qui tu es, mais tu t’es bien fichu de moi !! lui répondis-je avec toute la haine qui débordait de mon coeur meurtri.

 Oh mais tu es bien ingrate ma petite ! Ne t’ai-je pas permis de tout recommencer ? D’avoir une seconde chance ? N’était-ce pas ce que tu souhaitais ? Réaliser ton rêve ? Et te voilà une auteure à succès, vénérée dans le monde entier, millionnaire qui plus est !

 Je suis toujours aussi malheureuse, et j’ai tout perdu…

 Sans doute que tu n’as pas retenu la leçon, ma petite… ricana-t-il.

J’étais désespérée, prête à tout. En entrant à nouveau dans ces bois je n’avais qu’une seule envie, mourir, quitter cette existence pour de bon et ne plus y revenir. Mais maintenant que j’étais confrontée à ce messager funeste je ne désirais plus qu’une seule chose : m’accrocher à la vie. J’avais enfin compris le véritable sens de la mienne, du moins je pensais en être convaincue à cet instant.

 Tu as eu ta seconde chance. Maintenant il est temps de payer et d’honorer ta dette.

 Quelle dette ? hurlais-je horrifiée.

 Ah mais quand tu signes quelque chose il faut toujours lire ce qui est inscrit au verso !

Le faune exultait de joie et tendit son bras au bout duquel le parchemin apparut comme par magie. Sur le recto je pouvais à nouveau lire le message qu’il avait initialement inscrit mais il s’empressa de le retourner. Le parchemin se déploya en un long rouleau de papier noirci d’une fine écriture noire et illisible.

 Ton âme m’appartient désormais. Et je viens donc réclamer mon dû très Chère !

 NOOOOOON !! C’est impossible ! Tout ça n’est pas réel !!!

J’étais paralysée. Au fond de moi je savais ce qui allait se produire : enfin je me retrouvais face à ma propre fin et à toutes les erreurs que j’avais commises et reproduites.

 Tu as eu un cadeau très rare, inestimable et très précieux Solange. Beaucoup de gens seraient prêts à tuer pour avoir cette seconde chance. Tu as échoué une nouvelle fois, c’est toi seule l’unique fautive. Tu pensais que tout tomberait du ciel, que tu pourrais avoir le beurre et l’argent du beurre mais sache que dans la vie, on ne récolte que le fruit de notre propre labeur. Ce sont nos actions, nos choix et nos propres décisions qui nous font nous réaliser et pas les autres. Peut-être aurait-il fallu que tu t’accomplisses en tant que femme et mère avec un autre homme que Jacques !!

Il leva les bras en signe de croix et le sol s’ouvrit avec fracas pour engloutir Solange une dernière fois. Une seconde plus tard tout était redevenu normal et le faune s’enfonça parmi les arbres avec insouciance, en direction d’une nouvelle âme perdue à piéger …